l’éternel retour de chris ware

Wednesday, May 24th, 2006, 3:18

chris ware n’arrête pas de faire la même chose. livre après livre, il systématise sa manière, ses sujets, sa mécanique: tout est de plus en plus similaire: tout se répond de plus en plus. mais y percent des cassures alarmantes: des moments où se réveille la quasi-carcasse de l’homo cristovaresis, ce petit monstre, depuis toujours assouvi, parce que petit et faible, interdit de participation aux jeux de la société, depuis longtemps irrécupérable parce que brisé, lâchant de temps à autre un cri de douleur à fendre l’âme. chris ware est l’inverse du dessinateur animalier: il force l’animal à revêtir un corps humain. mais comme les animaliers, il rapproche l’homme et l’animal de manière inconfortable.

chris ware a inventé les idiots les plus complexes de toute la bande dessinée. parce qu’ignorés en tant qu’idiots, ce qui les force à “faire comme tout le monde”, ce qui donne un résultat épouvantable. jimmy corrigan, rusty brown, chalky white (que l’on voit tous dans cet acme library of novelty récemment paru [1]): on les aurait bien vu faire artiste, penseur, voire fouteur de merde. à la place, ils sont appelés à faire avec les joujoux qu’on leur présente, quitte à en faire une aberration, que c’en est désespérant: on se retrouvera ainsi avec une communauté de collectionneurs de jouets rares, comme on a aussi des collectionneurs de bande dessinée, vous savez, le genre qui ne les lit même pas. on n’est pas comme chez seth (it’s a good life if you don’t weaken) où le collectionneur, compulsif, soit, n’en est pas moins un véritable connaisseur. ware présente la face maniaque: le collectionneur comme fibre d’un tissu social souterrain, troué, inadéquat. mais il y a plus: car derrière le collectionneur, le social outcast, se profile l’humain dans toute son universalité: solitaire, méchant, opportuniste. et c’est là que l’oeuvre bourgeonne.

la cosmogonie de chris ware en est une d’apocalypse à la sauce augustinienne: aucune rédemption possible puisque l’existence de l’homme est en soi une aberration. le monde des blancs, celui des chrétiens, n’est pas mieux que mort: mais, se nourrissant comme il fait de ses propres nécroses, il n’est pas près de mourir. c’est un déclin littéralement interminable, d’autant plus qu’il l’a toujours été. et platon qui souhaitait trouver une idée originelle derrière tout ça. désolé: il n’y a pas de début à l’entropie, elle a toujours été là.

je suis persuadé que chris ware est le plus important auteur américain en activité. ce grand modeste s’attaque quand même à gros: krazy kat pour le rythme et la logique générale, et peanuts pour le mode narratif et la sophistication visuelle. on peut trouver pire comme maîtres. [2]

ai-je dit aussi que c’est extrêmement drôle?

[1] qui s’intitule peut-être plutôt (ou aussi) the acme novelty library, voire peut-être même the acme novelty library final report to shareholders and rainy day saturday afternoon fun book. le fait est que ça nous oblige à faire usage de notes en bas de page, ce qui en soi n’est pas anodin.

[2] on se rappelle bien sûr que l’auteur est en charge de l’apparence visuelle, impeccable, de la série krazy & ignatz, et que sa collection personnelle de strips de peanuts a servi à alimenter la fameuse anthologie peanuts: the art of charles m schulz, éditée par chip kidd.

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