george herriman, auteur maudit

Sunday, April 10th, 2005, 2:47

les deux comic strips généralement considérés comme les chef-d’oeuvres absolus du genre sont krazy kat de george herriman et peanuts de charles schulz. vous ne me verrez pas contredire cette opinion que je trouve parfaitement justifiée.

pourtant, les deux oeuvres sont à des lieux l’une de l’autre. d’abord, chacun représente une époque très différente de la BD américaine. d’abord herriman, la liberté absolue des années 1900-1920, ces décennies d’invention sans pareil. puis schulz, qui, en 1950, succède aux décennies de crise, cette époque ingrate dont blondie est l’archétype, avec son strip pointu, très moral mais pourtant très loin du ridicule prêche d’un harold gray dont le talent n’a rien à envier à l’infâme bigoterie. non, schulz est croyant (du moins à ses débuts) mais il se garde bien d’écrire ce qu’il pense en lettre grasses, soulignées et encadrées avec notes en bas de page.

l’autre différence, majeure celle-là, est celle de la gloire. si schulz a pu devenir, longtemps avant sa mort, le cartoonist le mieux payé de l’histoire (entre autres grâce à un habile merchandising de ses personnages), herriman a, lui, passé les 15 dernières années de sa vie dans l’incompréhension la plus totale, au point où, vers les années 1930, à peine deux journaux (oui oui, DEUX) publiaient la page du dimanche de krazy kat. la raison? passé 1929, les lecteurs se plaignaient du non-sens de son oeuvre. herriman n’a pu compter que sur l’appui, aussi puissant qu’inexplicable, du magnat de la presse william randolph hearst (citizen kane lui-même) pour la survie de son strip, devenu ésotérique par la force des choses.

on connaît un (je répète: UN SEUL) strip de peanuts partiellement perdu: il s’agit du dimanche 3 mai 1953 (bref, le début de sa carrière), dont il manque le premier tiers. point. pour herriman, c’est une autre histoire: après avoir connu un succès relatif au cours des années 1910 et 1920, l’auteur voit, au cours des années 1930, ses planches charcutées; dans au moins une dizaine de cas, on ne peut guère qu’imaginer à quoi ressemblait vraiment la création de l’artiste, les originaux étant perdus et les copies (uniquement disponibles sur de rares archives en microfilm), mutilées à jamais. les rééditions présentes (krazy & ignatz, chez fantagraphics) doivent reconstituer, plus ou moins “au pif”, les originaux.

schulz est un génie et la lecture de peanuts est un pur moment de grâce comme il s’en fait peu (à lire dans la langue originale bien sûr), mais on comprendra que ma sympathie va vers herriman.

d’ici la fin de l’année paraîtront les premières pages en couleur d’herriman, parues en 1935, et d’une beauté effarante. sincèrement, il s’agit d’un événement éditorial extraordinaire. herriman est le plus surréaliste de tous les auteurs de bande dessinée, un auteur modeste dont l’oeuvre est une sorte d’impossible concile onirique présidé par joyce et duchamp. il y aurait tant de choses à dire sur son compte, ceci devra suffire pour l’instant.

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