Archive for the 'dactylo' Category

formes et couleurs

Tuesday, May 29th, 2012

La forme de la ville lui apparaîtra, à l’examen, comme le résultat d’un processus tout aussi naturel que l’écoulement des fleuves, le déplacement des plaques tectoniques et l’éruption des volcans. D’une tissure plus resserrée, sans doute; et, certes, le quadrillé des rues, en certaines de ses parties, confère de la régularité au motif, mais cette régularité n’a au fond rien à envier aux phénomènes parfaitement naturels que sont le cristal et le rond dans l’eau. Il est remarquable, constate Irénée avec pénétration, que la carte parvienne, sur une superficie comparativement limitée, à laisser entendre comme elle le fait toute la complexité du monde représenté; un état de l’univers dépourvu de sens, de finalité, mais pourtant riche de formes et de potentiel; un espace de narration infini au sein duquel toutes les routes se valent. La cartographie, conclut-il avec joie dans le soir qui s’installe, ouvre à un monde plus vaste que le monde lui-même. Là-dessus les lampadaires choisissent de s’allumer, et non loin de là, toutes les couleurs de la grande roue se découpent en choeur sur le bleu de la nuit.

un extrait parmi d’autres du manuscrit des bases secrètes, roman qui est censé paraître éventuellement cette année, au quartanier.

le regard en arrière

Wednesday, May 23rd, 2012

Et Catherine fait de même de certains songes qui l’habitèrent autrefois, de fragiles œuvrettes que signaient une imagination nerveuse et impatiente, qui spéculent sur le goût de la chair, sur la sensation d’un toucher. Elle ressort de son âme, c’est le mot je crois, ces reliquats d’adolescence qu’elle eût autrement gardés sous scellés, auxquels elle trouve aujourd’hui un tour presque sulfureux, où elle constate, surtout, la subite naissance d’une lézarde mentale qui jusqu’à maintenant se faisait larvée, sournoise, hypocrite, la narration profonde et secrète de ses nerfs, de sa peau, du tressaillement de ses lèvres.

il me semblait que ce blogue manquait un peu de bouts de texte. j’ai retrouvé celui-ci hier matin dans un de mes manuscrits. je ne me rappelais plus avoir écrit ces deux phrases. peut-être qu’elles viennent de quelqu’un d’autre, après tout.

l’homme invisible

Friday, April 22nd, 2011

Saminsky avait beau essayer de se convaincre que son comportement ne relevait que de la superstition pure, il ne pouvait que constater les faits : à la boulangerie, au café, au restaurant, une éternité pouvait passer avant qu’il fût servi, on jasait on papotait comme s’il n’était pas là, on en laissait passer d’autres arrivés après lui — et quand on le servait, c’était comme si de rien n’était, on ne s’excusait pas du contretemps, on souriait sans arrière-pensée et, optimiste malgré lui, Saminsky en concluait que ce sourire était trop innocent pour qu’il puisse y dénoncer le moindre machiavélisme. À quoi servirait-il à quiconque de faire semblant de ne pas le voir ? À rien ; et Saminsky ne tenait pas rancune à ses semblables, il était juste rongé par la mélancolie, profondément las de lui-même, comme s’il était un homme en santé qui devait emmener partout avec lui son jumeau malade.

(extrait des bases secrètes, à paraître l’an prochain, selon toute évidence…)

«extrait d’un chantier en cours»

Monday, March 7th, 2011

Or les routes ne sont pas désertes. On croise, on dépasse bien des véhicules sur le chemin, des camions surtout, de la machinerie lourde et d’imposants dix-roues déplaçant sourdement leur mystérieux cargo. On voit souvent, dans la givrée matinale, des travailleurs casqués, dossards fluorescents, s’affairant à démonter ici une station-service, là un bureau de poste, concassant ici une surface asphaltée, charriant là d’imposants tas de gravelle. On les aperçoit en bordure de route, s’affairant à barricader une résidence qu’on sortira bientôt de terre, ils nous ignorent avec beaucoup de professionalisme. On surprend, stationnés près des chantiers, une petite armada de véhicules banalisés, sur les capots desquels des superviseurs déplient des cartes topographiques. On devine, au sortir d’une agglomération, le supermarché qui autrefois s’élevait sans doute au lieu de la structure décharnée qu’on voit à sa place, des pilotis de béton, du toit de tôle qui tient encore à quelques endroits. Au lieu d’un champ de maïs, deux pelles mécaniques creusent une profonde décharge vers laquelle se prolonge une filée de bennes nourries des œuvres de démolitions partielles ou achevées.

Passé les agglomérations, les zones autrefois habitables, c’est de plantation qu’il devient question. Des forêts d’épinettes, de bouleaux, d’érables, de cerisiers renaissent de l’ouvrage de mains humaines épaissement gantées. Des tapis de rocaille sont ensemencés d’une végétation inédite et rigoureusement sauvage. De multiples cages s’ouvrent l’une après l’autre d’où fuient sans demander leur reste une colonie de lièvres, de renards gris, de hérissons, de moufettes, de suisses, de taupes. Les marais sont réhydratés, repeuplés de castors, de musaraignes et de maringouins. Les bruants et les bernaches se posent aux abords des lieux, intrigués d’abord, irrésistiblement tentés d’y faire demeure.

On attend la fin des travaux pour libérer les martres et les carcajoux.

plutôt difficile, en fin de compte, de choisir des extraits de mes romans pour le blogue. hors contexte, ça ne va pas, je cherche à isoler quelques phrases pas trop mal faites mais alors ça fait pédant, et puis si j’en raconte suffisamment pour soutenir le récit (partager une atmosphère, donner envie de lire, etc.), ça sera trop long, donc insupportable à lire sur écran. l’extrait d’aujourd’hui est une sorte de compromis, mais au fond tout ça reste bien obscur. il faudra attendre le livre pour savoir, au fond, de quoi ça parle. mais si ça vous amuse, je veux bien continuer d’égrener les bouts de paragraphes comme ceux-ci, qui ne resteront peut-être pas en l’état, ou peut-être que si, je ne connais pas le futur.

fragment d’odile

Sunday, February 13th, 2011

Car Odile ne reviendra pas. Elle a filé par la petite porte et pour un peu, on ne l’aurait pas aperçue. Elle est partie comme un fruit mûr qui tombe, sans ressentiment particulier, juste lâchée dans la mauvaise herbe, oubliée de la branche qui la couvait. On ne lancera pour elle aucun avis de recherche, on fera comme si elle n’avait jamais été là, on ne parviendra plus à s’expliquer le fond de morosité qui nous hante en son absence. Odile aura disparu sans fracas. Simplement, elle sortit de l’usage. Ici, on perd sa trace.

(extrait du second chapitre des bases secrètes)

décalage horaire

Thursday, February 10th, 2011

Résumons, résumons. Pourquoi est-ce que ça ne se passe pas comme prévu, cette histoire? Hier encore, ils s’écrivaient des mots doux. Or ce soir on est de sortie, il y a des artistes, des collègues de Carole suppose-t-on, ça boit, ça rigole, ça papote, lui est là qui ne s’immisce durablement dans aucune conversation, qui tient sagement son verre, dépourvu de l’envie de boire, on lui demande qui il est, il dit qu’il est l’ami de Carole, on lui demande ce qu’il fait, il dit ingénieur, on dit ah, on passe à autre chose pendant que Carole, qui connaît tout le monde, virevolte d’une pièce à l’autre, butineuse, enchanteresse, il la suit comme il peut, il la connaissait d’une timide effronterie, il la découvre moqueuse, joyeuse, danseuse, fugueuse et ne parvient plus à la satelliser qu’avec peine.

(extrait d’un chantier en cours)