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«c’est toi la plus belle»

Friday, March 25th, 2016

c’est vendredi et j’ai envie de vous raconter comment une chanson de jimmy hunt m’a permis de trouver le nom d’un des personnages les plus importants du continent de plastique (en attendant sa sortie officielle, toujours prévue pour le 5 avril).

il faut dire d’abord que nommer un personnage est toujours tout une affaire. il faut que le nom «sonne» bien, qu’il soit graphiquement distinct des autres noms. en même temps il ne faut pas non plus surenchérir dans la bizarrerie. certains personnages du livre s’appellent tout simplement «paul» ou «robert», noms qui me sont venus spontanément au moment de mettre les personnages en scène pour la première fois. d’autres fois c’est plus compliqué.

j’en arrive à un personnage très important (vous le découvrirez bien quand vous lirez le livre), denise bruck, qui sera le grand amour du narrateur. là, il ne faut pas rater son coup, ce nom reviendra tout le long du livre, il faut qu’il soit à la fois mémorable et peu encombrant, rapide mais lumineux.

en fait, peut-être que je vais trop vite parce que je ne me souviens plus, pour dire vrai, ce qui est venu en premier: le personnage ou la chanson? parce qu’il y a d’abord une chanson de jimmy hunt derrière tout ça, qui s’appelle, bien entendu, denise, tirée de son disque maladie d’amour, que je recommande chaudement soit dit en passant:

les chansons de jimmy hunt parlent souvent de filles, qu’il ne manque pas de nommer par leur prénom. ici, le refrain avait quelque chose d’intrigant: «denise, écoute-moi / c’est toi la plus belle / ton amour est éternel». appelez ça la magie de la chanson: ce refrain, accompagné bien sûr de sa musique, m’avait tout à fait convaincu: il était tout à fait plausible qu’une jeune femme nommée denise pût figurer la plus belle femme du monde, qui plus est une sorte de symbole amoureux au dernier degré. et c’est donc cette chanson, je l’écris ici pour marquer ma dette, qui m’a convaincu que mon personnage ne pouvait que se prénommer denise. je ne veux pas dire par là que ma denise ressemble à celle de jimmy hunt. simplement que cette homonymie m’a aidé à croire, tout au long de l’écriture, en l’amour infini de mon narrateur pour une jeune femme dont le prénom serait denise.

restait bien sûr à lui trouver un nom de famille. j’avais établi assez tôt dans mes plans que denise serait, dans le récit, une immigrante, et que son nom pouvait dénoter une origine étrangère. (il me semblait, curieusement, que «denise», prénom bien français, ne posait pas problème de ce côté.) j’ai donc pensé à un nom anglais… mais non, quand même pas. italien alors? ça pouvait peut-être marcher. je marchais, comme je le fais souvent la fin de semaine, en compagnie de mon épouse, dans la petite italie, cherchant des noms sur les devantures des commerce, à tout hasard. et puis je tombe, sise boulevard saint-laurent, sur la compagnie des machines à coudre bruck:

bruck! ce nom n’avait rien d’italien, mais il était parfait. denise bruck. je ne voyais pas comment je pourrais trouver mieux. et puis j’aimais bien qu’on ne puisse vraiment dire d’où venait ce nom. denise bruck pouvait provenir d’un pays un peu vague du nord de l’europe, germanophone ou néerlandophone sans doute, et encore, rien n’est sûr.

sonorement, le nom «denise bruck» avait aussi l’avantage d’un agréable contrepoint entre la douceur un peu acidulée du «denise» et la raideur de «bruck». je me faisais l’image d’une jeune femme blonde aux cheveux courts, à l’allure plutôt garçonne, sans doute assez près de la jean seberg d’à bout de souffle (même si cette réminiscence visuelle ne m’est apparue que très récemment), et ce nom me semblait convenir à merveille pour rendre cet état intermédiaire, cette légère ambiguïté générique.

bref, ce nom, je le trouvais si amusant que je me suis donné comme contrainte, tout au long du livre, de toujours l’écrire au long, sur le principe du gag qui n’est drôle que parce qu’il est infiniment répété.

alors voilà comment une chanson de jimmy hunt (et un commerce de machines à coudre) a donné naissance à un personnage sans lequel ce livre ne serait que l’ombre de lui-même. ce n’est pas la première fois et ce ne sera sans doute pas la dernière fois qu’une chanson produit cet effet sur mon travail. récemment j’ai commencé à écrire un truc (je ne sais pas encore ce qu’il donnera) dont je me suis convaincu qu’il raconterait le chemin entre deux chansons de brigitte fontaine. je ne vous dirai pas lesquelles, bien sûr. ça viendra en son temps, peut-être.